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Noël, neuf mois plus tôt…
Conte de Noël 2021 - Pour le 25 Décembre 2021
1ère Partie
Au centre du village, la jeune fille était à la fontaine et puisait de l’eau. Son sac sur le dos, le randonneur était arrivé sur la place et, assoiffé, regardait la fontaine. Il attendait que la place soit libre pour étancher sa soif…
En attendant, il regardait la jeune fille. Elle était très belle. Brune, élancée, avec une naturelle distinction. Elle portait aussi un voile sur la tête, couvrant en partie sa longue chevelure d’un noir de jais.
Lorsqu’elle eut rempli sa cruche, elle regarda autour d’elle – avait-elle aperçu le jeune randonneur? – puis prit un chemin se dirigeant vers l’extérieur du village. Sylvain – c’était le nom du jeune randonneur - se dirigea rapidement vers la fontaine, but encore plus rapidement une gorgée d’eau fraîche, puis, à distance respectueuse, emboîta le pas à la jeune fille…
Marie – c’était le nom de la jeune fille – arriva à un embranchement : à gauche cela conduisait chez elle où habitaient aussi ses parents ; à droite cela menait vers un bois au pied d’une petite montagne. Elle bifurqua à droite.
Sylvain, lui aussi, obliqua vers la droite… En fait, en tant que randonneur, il n’avait pas d’objectif précis; il allait, tout simplement, vers ce qui l’attirait… Et, pour l’heure, ce qui l’attirait, plutôt que le paysage, c’était un être humain, une merveilleuse jeune fille…
La jeune fille continuait son chemin, sa cruche d’eau pleine contre sa poitrine. En fait, il n’était pas très logique d’emmener sa cruche d’eau avec elle pour aller dans les bois – l’eau c’était plutôt pour la maison –, mais, partir vers le bois, au départ, ce n’est pas ce qu’elle avait prévu.
Le chemin décrivait une large courbe allant vers la droite, avant de progressivement s’enfoncer dans le bois… Marie marchait d’un pas vif mais sans hâte, elle était en promenade et regardait autour d’elle, accueillant les bruits et les impressions de la Nature, ramassant un champignon, ici ou là.
Marchant doucement, adaptant ou adoptant son pas, Sylvain la suivait à quelques centaines de mètres. À aucun moment Sylvain ne la vit tourner la tête pour regarder derrière elle, mais il aurait juré qu’elle savait qu’il se trouvait derrière elle.
Marie passa la lisière du bois et commença à pénétrer sous la chênaie. De nombreux oiseaux chantaient dans les ramures, dont des rouge-gorge.
Lorsque Sylvain eut, à son tour, pénétré dans le bois, tout d’abord il ne la vit pas. S’était-elle cachée?
Soudain, il la vit. Son vêtement brun se confondait avec l’environnement; c’est pour cela qu’il ne l’avait pas, tout d’abord, vue. Elle était assise sur une pierre et lui tournait le dos aux trois quarts.
Il s’approcha, à pas mesurés. Son cœur battait plus fort…
C’est seulement lorsqu’il fut à à peine une dizaine de mètres d’elle qu’elle se tourna vers lui en levant les yeux. Était-elle surprise? Rien, dans son regard ou son attitude ne permettait de l’affirmer.
Sylvain, qui, déjà, marchait lentement, ralentit son pas encore davantage, jusqu’à finir par s’arrêter complètement, à quelques mètres d’elle …
Leurs regards se croisèrent et se pénétrèrent. Longuement. Le silence dura plusieurs minutes. Juste un regard mutuel.
L’initiative venant manifestement de Sylvain, c’était à Marie d’exprimer ou non son accord. Elle demeura silencieuse encore un bon moment, sans bouger. Sylvain aussi restait immobile, le regard fixé sur elle, son sac toujours sur le dos.
Alors, elle fit un geste et tendit sa gracieuse main à elle dans sa direction à lui. C’était clairement une acceptation. Sylvain posa son sac dans la mousse à ses pieds. Puis il s’approcha, avec une respectueuse timidité, encore plus lentement qu’il ne l’avait fait jusqu’ici.
Toujours assise, elle resta la main tendue jusqu’à ce qu’il se tint, debout, tout proche d’elle. Alors, il s’accroupit et même s’agenouilla, se tenant ainsi à la même hauteur de visage qu’elle… C’est alors qu’il lui prit la main.
* * * * * * *
Après le moment dans la forêt, le randonneur avait repris son chemin… Et la jeune fille, âgée de dix-huit ans, était rentrée chez elle, avec sa cruche d’eau remplie contre son ventre, et ses champignons dans ses poches.
Là elle avait retrouvé ses parents – qui étaient des gens de principe – et sa vie régulière. Les semaines suivantes s’écoulèrent paisiblement, jusqu’à ce que – à ne plus en douter – Marie découvre qu’elle était enceinte.
Cela lui fit un choc, car elle ne s’y attendait pas. Elle n’y avait, tout simplement, pas pensé. Naturellement, elle savait qui était le père, car, il y a encore quelques semaines, elle était encore vierge, et avec un homme elle n’avait qu’une seule relation, qu’une seule fois.
Ses parents, très catholiques, étaient très engagés dans la vie de la paroisse et, bien qu’habitant un peu à l’écart du village une maison sans beaucoup de confort (il n’y avait pas l’eau courante), tenaient un restaurant sur la place du village, avec vue sur la fontaine de la rencontre.
Tandis que Joachim, le père, tenait les fourneaux, la mère de Marie – qui s’appelait Anne-Marie – servait les clients, avec l’aide de Marie, dans la salle, de sorte que Marie, elle aussi, était très connue dans tout le village.
Les deux trois mois suivants se déroulèrent tranquillement, mais lorsque Marie eut remarqué que son ventre commençait à s’arrondir, elle s’inquiéta.
En effet, elle n’avait encore rien dit à ses parents et, en s’interrogeant elle-même à ce sujet, elle ne se sentait pas de le faire, ni à l’un ni à l’autre.
Ce constat étant fait, il n’y avait plus qu’une solution: elle devait partir… Du fait qu’elle travaillait au restaurant depuis deux ans et, vivant chez ses parents, elle n’avait que peu de dépenses, elle avait pu économiser pratiquement deux ans de plein salaire, étant donné que, depuis le début, son père la payait au même tarif qu’il aurait payé une personne étrangère à la famille. Cela lui permettrait – comme l’on dit – de voir venir…
Le soir même, juste après le retour du restaurant, une fois à la maison, Marie expliqua à ses parents qu’à dix-huit ans elle désirait désormais mener une vie indépendante et s’apprêtait à quitter la maison familiale…
Ils ne pouvaient pas s’y opposer, parce que, déjà à cette époque, à dix-huit ans, elle était majeure et avait donc le droit de mener une vie personnelle… Ils lui posèrent beaucoup de questions pour essayer de savoir où elle voulait aller, ce qu’elle allait faire, si elle voulait rejoindre un homme, etc., mais, dans ses réponses, elle resta très évasive…
Joachim:
- Ma fille, même si légalement tu es maintenant majeure, de sorte que, de ce point de vue, nous ne sommes plus responsables de toi, cela n’empêche pas que, pour notre part, déjà sur le plan de l’âge, nous considérons que la véritable majorité est plutôt à vingt-et-un ans, de sorte que, intérieurement, nous nous sentons toujours responsables de toi. Même si tu ne vis plus avec nous, il est déjà important que tu le saches.
Marie:
- Je te remercie, Papa, et, en cas de besoin, je saurai m’en souvenir.
Anne-Marie:
- Ma chère enfant, je suis ta mère et je me soucierai toujours de toi, y compris après tes vingt-et-un ans. Même si nous ne pouvons pas nous y opposer, car tu es en âge de pouvoir effectuer des choix personnels, je suis très inquiète de te voir partir, sans savoir précisément où tu vas et ce que tu vas faire…
Marie:
- Ma chère Maman, ne t’inquiète pas, je vous donnerai des nouvelles dès que je serai fixée.
Le lendemain, Marie demanda à son père de la conduire à la gare de la ville voisine. Elle avait deux sacs, un à chaque main. Elle prenait la direction de la capitale…
Elle s’arrêta, toutefois, à la ville voisine. Bien que, au moment de l’au-revoir, son père lui ait glissé dans la main, une liasse de billets supplémentaires, c’était déjà un moyen d’économiser sur le petit capital disponible pour faire face aux mois devant suivre et se préparer pour la naissance… Elle accepta, reconnaissante.
Arrivée à la ville voisine, distante d’une trentaine de kilomètres, Marie chercha à louer un petit meublé. Avec difficulté, après avoir beaucoup marché avec ses bagages à la main, à la fin de la journée, elle finit par trouver un petit studio, deux pièces avec kitchenette et coin toilette. Elle aurait souhaité mettre un loyer moins élevé, mais là elle devait trouver une solution au moins pour la nuit…
Après une nuit reposante, le lendemain matin, elle se mit en quête d’un travail… Là, c’était encore plus difficile que pour un logement. Heureusement, c’était encore le plein été, et il faisait beau et chaud.
Le lendemain matin, Marie se mit donc en quête d’une activité rémunératrice. Douée d’une forte volonté, d’une grande adaptabilité et d’une intelligence pratique, elle avait envisagé différentes choses.
Elle pouvait, par exemple, travailler comme secrétaire dans un bureau, que ce soit dans une administration, une entreprise ou une association, elle pouvait aussi être vendeuse dans un magasin, elle pouvait encore s’occuper d’enfants, que ce soit dans une nurserie, une école ou chez des particuliers, ou bien faire de nouveau ce qu’elle savait déjà faire: servir dans un restaurant.
Mais, étant donné que, sur le plan économique, c’était une période de récession, le taux de chômage dans le pays était élevé, et, que ce soit à l’agence pour l’emploi ou directement auprès de possibles employeurs, que ce soit par téléphone ou en visites directes, toutes les démarches qu’elle effectua dans ce sens s’avérèrent sans effet…
Malgré cela, elle ne se découragea pas et poursuivit sa quête pendant plusieurs jours, en vain. Le cinquième jour, elle se dirigea vers le bureau du journal hebdomadaire local «Le pays combattant», dans le but d’être parmi les premiers à voir les petites annonces proposant des emplois.
Plusieurs offres retinrent son attention. L’une était une place de vendeuse dans une librairie, une autre proposait une place de cuisinier/cuisinière dans une pizzeria, une autre était un poste de livreur de meubles.
À la librairie, ils trouvèrent qu’elle n’était pas suffisamment diplômée, à la pizzeria, qu’elle n’avait pas assez d’expérience, dans le magasin de meubles, qu’elle n’était pas assez musclée.
C’est alors que, dans le journal, elle aperçut une quatrième annonce qu’elle n’avait initialement pas remarquée. L’intitulé de la proposition était «Demoiselle ou Dame de compagnie» et exigeait d’être «bien de sa personne» et de posséder «de grandes qualités humaines».
Intriguée, Marie prit contact par téléphone et une femme manifestement âgée, se présentant comme la gouvernante, lui proposa alors un rendez-vous avec son patron, pour le lendemain matin, à dix heures.
Naturellement, Marie accepta le rendez-vous et nota l’adresse. C’était une propriété se tenant un peu à l’écart de la ville et qui s’appelait «La gentilhommière». Le restant de la journée se passa pour elle dans l’interrogative… Qu’allait-elle trouver là-bas?
* * * * * * *
Le lendemain matin, pour être sûre d’être à l’heure, Marie avait loué une bicyclette et, après quelques kilomètres, arriva à la grille de «La gentilhommière» vers 9H45. À travers la grille fermée, elle aperçut, en effet, au bout d’une longue allée fleurie, la vaste demeure de style manoir.
Tandis qu’elle se demandait comment elle allait pouvoir signaler son arrivée, elle vit la grille s’ouvrir devant elle, de sorte qu’elle put s’engouffrer dans l’allée en tenant son vélo à la main. Elle s’avança posément, tout en admirant les fleurs et les bosquets autour d’elle.
S’approchant de la demeure, elle vit que c’était bien un petit château résidentiel, certes avec tours et mâchicoulis, mais pas de style moyenâgeux mais plutôt de style renaissance. Les murs étaient agencés avec de grosses pierres taillées en granite, sur lesquelles du lierre grimpait jusqu’aux toits. Sur la droite, Marie aperçut ce qui lui sembla être une chapelle.
Un escalier central donnait accès au premier niveau. La porte s’ouvrit et une femme âgée, avec des cheveux blancs attachés en chignon se présenta; c’était probablement la gouvernante que Marie avait eue au téléphone. Elle lui sembla être une personne austère et posséder un caractère bien affirmé.
La gouvernante fit signe à Marie de déposer sa bicyclette contre le mur et de monter les marches. Elle l’attendait du haut de son escalier.
Lorsque Marie fut arrivée en haut de l’escalier, elle lui dit:
- Vous faites bien d’être à l’heure, le Maître aime que l’on soit ponctuel.
Une fois qu’elles furent arrivées dans le vaste vestibule orné de trophées de chasse, elle la fit entrer dans un petit salon latéral, juste à droite en entrant, en lui disant qu’elle viendrait la chercher à dix heures précises, lorsque le maître de la demeure lui aurait fait signe. Marie prit place dans un fauteuil empire, face à la fenêtre. Devant elle se trouvait un guéridon avec des revues sur la vie dans les châteaux.
À 9H59, la gouvernante réapparut faisant signe à Marie de la suivre. Elle la conduisit à l’opposé du vestibule, sur le côté gauche, jusqu’à une vaste porte somptueusement sculptée, au-dessus de laquelle se trouvait une imposante tête de cerf. C’est là que se trouvait le bureau du maître des lieux.
La gouvernante frappa à la porte et Marie entendit une voix masculine forte et bien timbrée disant:
- Entrez!
Entrouvrant seulement la porte, Philomène (c’était le nom de la gouvernante) se glissa à l’intérieur, sans que Marie ne puisse encore voir l’intérieur de la pièce. Elle entendit Philomène dire au maître:
- La jeune demoiselle est ici; peut-elle entrer?
Et elle entendit le maître répondre:
- Comment s’appelle-t-elle?
Philomène ressortit de la pièce et, la regardant, questionna Marie, qui se tenait à deux mètres de l’entrée:
- Quel est votre nom?
Marie répondit:
- Marie Duprat.
Philomène se glissa de nouveau à l’intérieur et dit au maître:
- Mademoiselle Duprat est là présente pour le rendez-vous que Monsieur lui a accordé.
Le maître répondit:
- Est-elle conforme aux caractéristiques requises dans l’annonce?
Philomène répondit:
- Je le crois. Naturellement, c'est au Maître d’en décider.
Le maître:
- Faites-la entrer.
Philomène ouvrit alors la porte en grand et Marie aperçut le maître derrière son bureau. C’était manifestement un homme d’âge mûr avec les tempes légèrement grisonnantes, mais avec barbe et moustache encore bien noirs. Il était vêtu d’une redingote, et l’on voyait que tout en lui était maîtrisé.
Dans le vestibule, Marie était encore un peu dans l’ombre, mais, lorsqu’elle se fut avancée dans la lumière du bureau bien éclairé, le maître se leva à l’entrée de la jeune femme. Avait-il prévu de le faire comme correspondant à une code de politesse sociale ou bien l’avait-il fait spontanément du fait de la grâce naturelle de Marie, se répandant partout où elle arrivait, c’était difficile à dire. Toujours est-il que non seulement il s’était levé à l’apparition de Marie mais il contourna même son imposant bureau pour aller au-devant d’elle. À coup sûr cela était le signe qu'il était impressionné. Avait-il enfin trouvé la demoiselle de compagnie dont, depuis un bon moment, il rêvait?
Marie se trouvait dans un grand bureau rempli d’étagères recouvertes de livres précieux. Rapidement, Marie eut le temps d’apercevoir quelques titres sur les tranches; manifestement, cela parlait notamment d’œnologie.
Le maître fit asseoir Marie sur un fauteuil Louis XVI face à la fenêtre (laquelle se trouvait sur la droite en entrant dans la pièce) et, au lieu de reprendre sa place derrière son bureau, il prit place, en face d’elle, sur un fauteuil de même style.
Là, tout en la dévisageant, il resta silencieux pendant un moment. Légèrement intimidée, avec sa réserve naturelle, tout en jetant discrètement quelques regards intrigués sur les meubles et les étagères remplies de livres – la plupart reliés en cuir –, autour d’elle, Marie, enveloppée dans son châle, les mains posées sur ses genoux, attendait poliment qu’il veuille bien la questionner… À son étonnement à elle, ce n’est pourtant pas ce qu’il fit, il commença par se présenter:
- Bonjour, Mademoiselle, je suis le Baron de Talensac. Ma famille paternelle vit dans ce château depuis trois siècles et a résisté à plusieurs révolutions. La richesse de la propriété c’est un vignoble d’une centaine d’hectares se trouvant derrière le château et exploité par mon régisseur. Nous produisons un vin blanc moelleux, qui est apprécié dans le monde entier.
Très concentrée, ses yeux fixés sur le visage sévère mais plaisant du baron, Marie écoutait attentivement, attendant patiemment le moment où il serait question d’elle…
Le baron poursuivit:
- Depuis quelques années je suis veuf. Claire, mon épouse bien-aimée - c’était à l’époque où nous avions encore une écurie -, a été victime d’une chute de cheval. Ce fut une tragédie. Philomène, ma gouvernante depuis des décennies, tient bien la maison, mais commence à prendre de l’âge. Dans la maison il y a aussi certains talents à exercer qui ne peuvent être accomplis que par une personne plus jeune et plus avenante. Tout en laissant à Philomène ses prérogatives, je recherche une telle personne.
Vous êtes là pour savoir, en ce qui vous concerne, si une telle place pourrait vous convenir et, en ce qui me concerne, pour que je sache si vous pouvez convenir pour un tel rôle.
Par conséquent, je vous serais reconnaissant si vous consentiez à me parler de vous, de votre histoire, de vos origines, de vos aspirations…
À cette invitation Marie prit alors la parole:
- Monsieur le Baron, je vous remercie de me recevoir. Je m’appelle Marie Duprat, j’ai dix-huit ans et suis originaire d’un village de Bourgogne pas très éloigné d’ici. Mes parents y tiennent une auberge, où j’ai exercé l’activité de serveuse pendant deux ans. Bien que mes parents m’aiment tendrement et que j’aime mes parents, étant maintenant majeure, depuis peu j’ai décidé de m’installer dans votre ville pour y mener une vie indépendante. C’est pourquoi j’ai trouvé votre offre dans l’hebdomadaire «Le pays combattant», laquelle a retenu toute mon attention. Si vous deviez retenir ma candidature, puis-je savoir, plus précisément, ce que vous attendez de moi?
Le baron, qui l’avait écoutée, lui aussi, avec beaucoup d’attention, lui répondit alors:
- Mademoiselle Duprat, ainsi que je viens de vous le dire, je suis veuf, sans enfants, et vis seul dans un grand château. Afin de vous donner une vue d’ensemble, pour le travail dans le vignoble je dispose d’un régisseur (qui, toutefois, s'approche de la retraite) et de quelques ouvriers. Mon travail propre, et que j’exerce surtout dans ce bureau, vise principalement à la commercialisation du vin apprécié que nous produisons. Les revenus que j’en retire me permettent d’entretenir le château, où il y a souvent des travaux à faire, et le parc avec ses jardins. J’ai aussi un jardinier permanent, plus quelques-uns occasionnels.
Pour la tenue de cette vaste demeure, j’ai Philomène, qui est assistée de femmes de ménage venant régulièrement de l’extérieur. Il y a aussi une cuisinière qui n’habite pas au château mais vient tous les jours et s’appelle Éponyme.
L’expérience me montre qu’il manque encore quelqu’un – ou plutôt quelqu’une – pour que la vie au château soit parfaite, et ce «quelqu’une», si cela nous convient à tous les deux, cela pourrait être vous. Le rôle de cette personne sera simplement d’être toujours là lorsque j’aurai besoin d’elle, de me rendre de menus services, de me tenir la conversation lorsque je souhaiterai parler à quelqu’une, de me faire la lecture et de m’accompagner pour les promenades dans le parc, d’apporter gaîté et fraîcheur dans ce château austère, bref d’y être un petit rayon de soleil, ce que, d’ailleurs, vous faites déjà par votre seule présence dans ce bureau…
Marie vacilla sous le compliment. Ce «métier de demoiselle ou dame de compagnie» lui semblait un peu irréel. Était-il possible qu’il y ait extérieurement si peu à faire pour pouvoir gagner sa vie? Naturellement, tout reposait sur la possible relation avec cet aristocrate devant avoir largement plus du double, voire le triple de son âge. C’était un métier très personnel. Si tout allait bien, cela pouvait être parfait, mais si non…?
Marie questionna alors:
- Bien que vous ne sachiez pas encore beaucoup à mon sujet, si vous me donnez ainsi à comprendre que je pourrais faire l’affaire, quels pourraient être alors, en ce cas, mes émoluments?
Le baron lui répondit:
- Nous devons vérifier, tous les deux, que nous nous convenons mutuellement, moi en tant que votre employeur, vous en tant que mon employée. C’est pourquoi je vous propose un essai d’au moins un mois, au terme duquel vous comme moi serons libres de mettre un terme à l’expérience sans besoin d’explications. Si vous acceptez la place, j’envisage de vous rétribuer 13.000 Francs nets par mois, nourrie, logée.
Marie sursauta presque de surprise, tant la proposition lui parut avantageuse. Toutefois, un mot l’avait interpellée:
- Vous avez dit: «logée»?
- Naturellement! Le rôle d’une dame de compagnie est d’être là à chaque fois que sa compagnie est requise; cela peut être le soir, le matin, ou même exceptionnellement la nuit. Cela fait partie du travail.
- Je vois, dit-elle. En même temps, elle réfléchissait. Si le baron confirmait sa proposition et qu’elle acceptait, elle n’aurait plus besoin de son petit deux-pièces coûteux, et elle aurait une sécurité globale d’emploi et de logement. Elle devait juste être sûre que cela lui convenait…
De son côté, le baron, qui avait déjà vu plusieurs candidates recrutées dans le numéro de la semaine précédente du «Pays combattant» mais n’avait été enthousiasmé par aucune d’entre elles, avait envisagé, pour la forme, la possibilité d’un essai non concluant, mais, dès le premier regard, avait été conquis par la beauté, la réserve, la discrétion, la finesse, la distinction innée de la jeune femme. Donc, pour lui, c’était tout vu, si elle disait oui, pour lui c’était oui aussi.
Marie étant silencieuse, il questionna:
- Peut-être désirez-vous voir votre appartement?
«Votre appartement»!?, le baron ne lui proposait pas une chambre de bonne sous les toits mais un appartement! Bien que, du fait de sa nature peu exigeante, ce n’était probablement pas cela qui, pour elle, serait déterminant, modestement, elle répondit:
- Je veux bien.
Le baron de Talensac se leva; elle l’imita. Par le grand escalier tournant il la conduisit, tout en la faisant passer la première, jusqu’au premier étage.
- A gauche c’est mon appartement, dit-il, une fois qu’ils furent arrivés sur le palier; le vôtre est à droite.
Il lui ouvrit la porte, lui découvrant ainsi une spacieuse salle de séjour, bien éclairée et meublée, avec goût, en style ancien. Les murs étaient habillés de boiseries et de tapisseries.
Marie ne put réfréner un «Oh!» de surprise.
- C’est pour moi, tout cela?, acheva-t-elle.
- C’est l’appartement de la demoiselle de compagnie, répondit le baron. Si c’est vous qui le devenez – et cela ne dépend plus que de vous! – alors, oui, ce sera votre logement, aussi longtemps que vous vous tiendrez dans cette fonction.
- …
Marie demeura, un moment, muette.
Tout cela lui semblait presque trop beau. Elle avait vraiment beaucoup de "chance"!
La scène s’était passée sur le seuil. Il la fit entrer et s’asseoir sur ce qui allait devenir son canapé, tandis qu’il prenait place sur un somptueux fauteuil en face d’elle.
- Pour cette fois, remarqua-t-il, j’entre chez vous sans votre invitation, mais c’est la première et la dernière fois, car votre terrain de travail, de façon générale, sera plutôt chez moi. Alors, que dîtes-vous?
- Je dis oui!, s’exclama-t-elle.
C’est ainsi que l’affaire fut conclue entre le baron et Marie.
Pour Marie, les heures, les jours et les semaines qui suivirent furent un enchantement. Le baron se montrait extrêmement prévenant avec elle, mais, en même temps, des plus respectueux. Elle se sentait en pleine sécurité, et, dans son état, elle en avait besoin.
Au bout de quelques jours, elle avait envoyé à ses parents un télégramme disant: «Chers parents, Soyez tranquilles à mon sujet, j’ai trouvé emploi et logement. Je suis heureuse et en pleine sécurité. Je vous aime. Marie.». Toutefois, elle ne leur donnait pas d'adresse géographique, car elle ne voulait pas qu'ils sachent où elle était.
Le «travail» de Marie était des plus faciles; elle n’avait juste qu’à être là, lorsqu’il avait besoin d’elle, ce qui était à la fois régulier et irrégulier. Il pouvait parfois lui demander d’accomplir de menues tâches, comme ranger des livres dans sa bibliothèque, ou bien taper à la machine à écrire lorsqu’il devait rédiger un courrier d’affaires, ou bien lui faire la lecture pendant qu’il se détendait dans son fauteuil, ou bien lui donner la répartie lorsqu’il évoquait une question philosophique. Faire tout cela lui était des plus agréables.
Pour autant, même si elle n’avait pas d’horaires particuliers et devait juste s’efforcer d’être disponible lorsqu’il avait besoin d’elle, elle avait, chaque jour, de nombreuses heures, au moins l’équivalent d’un plein après-midi, complètement à elle, de sorte que ses journées se déroulaient heureuses et paisibles.
Mais voilà, maintenant, c’était devenu évident, même si elle portait intentionnellement d’amples robes longues, chaque jour son ventre s’arrondissait toujours plus, et elle se devait de le dire à son patron, avant qu’il ne s’en aperçoive et la questionne à ce sujet…
Un matin, elle prit son courage à deux mains, et, sans même attendre qu’il la sollicite, elle alla frapper à la porte de son bureau, celui-là même où il l’avait reçue le premier jour.
Il fut un peu étonné de la voir arriver sans qu’il l’ait sollicitée. Il remarqua tout de suite qu’elle était porteuse d’une préoccupation particulière et décida, en allant au-devant d’elle, de lui faciliter la tâche:
- Que me vaut l’honneur de votre visite matinale?
Après un silence sinon embarrassé du moins un peu hésitant, Marie s’exprima:
- Voilà… Je me dois de vous informer d’une condition qui m’est propre en ce moment, à la fois parce que je vis sous votre toit et aussi parce que cela est susceptible d’interférer avec mon service auprès de vous.
- Je vous écoute…
- Voilà… (Elle prit sa respiration...) Dans environ trois mois et demi j’aurai … un bébé!
Dire que le baron fut surpris serait un euphémisme. Il demeura un long moment, bouche bée, contemplant la jeune femme dans son ample robe masquant largement les formes de son corps et notamment de son ventre.
Il ne savait que dire, mille pensées l’assaillaient en un instant. Il comprenait pourquoi, depuis son arrivée, pas une fois il n’avait vu Marie avec une robe ou une jupe cintrée, mais ça c’était anecdotique. D’un coup, l’image de vierge immaculée qu’il avait d’elle venait de choir en une fraction de seconde, et il devait s’en remettre.
Après deux ou trois minutes, la regardant intensément, il questionna:
- Cet enfant a-t-il un père?
Rougissante, Marie répondit:
- Oui, bien sûr!
Ceci montra au Baron que – bien que s’appelant aussi Marie – Marie était une jeune femme «normale», «comme tout le monde». Mais, s’il y avait un père, pourquoi n’était-il pas avec elle?
Et le dialogue rétabli se poursuivit:
- Alors … Où est-il?
- Heu… Je ne sais pas!
- Comment, vous ne savez pas?
- Eh bien … Je ne l’ai pas revu depuis…
Elle n’acheva pas sa phrase. Depuis… depuis … quand? Depuis… depuis… depuis quoi? Le baron comprit que c’était depuis la conception, et il ne l’obligea pas à le préciser.
Ainsi c’était vraisemblablement une «rencontre de circonstance», et le père, probablement ignorant et inconscient de ses œuvres, avait apparemment «disparu dans la nature»… Il voulut, toutefois, s’en assurer…:
- Vous ne l’avez rencontré qu’une seule fois?
- … Oui!
Ainsi c’était bien cela! Incroyable! Cet{te} ange de pureté s’était donnée à un homme qu’elle n’avait vu qu’une seule fois!
Le baron était éberlué. Il ne savait que penser. S’était-il mépris à ce point? Selon sa conception, une jeune fille respectable se devait de rester vierge jusqu’au mariage. Et il n’était absolument pas question d’avoir une relation avec un homme – en particulier une relation de cette nature! – en dehors du mariage!
Sa propre défunte épouse, il l’avait connue des années avant d’envisager quoi que ce soit avec elle. Puis, il lui avait demandé si elle acceptait de se fiancer avec lui. Et ce n’est qu’un an après leurs fiançailles qu’ils s’étaient mariés. Et ce n’est qu’après leur mariage qu’ils avaient «consommé» celui-ci.
Jamais il n’avait – et n’aurait – envisagé de toucher à sa femme avant qu’elle ne fut sienne. Et même, il ne l’avait jamais embrassée avant qu’elle ne fut sa fiancée. Cette nouvelle génération n’avait plus le sens de rien ! Il poussa un soupir…
Marie perçut qu’elle l’avait déçu, et c’est cela dont elle s’inquiéta et qui la chagrina. L’idée qu’il puisse, à la suite de cela, la chasser et la mettre à la porte ne lui vint même pas à l’esprit. Cela ne l’inquiétait pas. Elle ressentait la noblesse et la bonté d’âme du baron, et seule la conscience d’avoir démérité à ses yeux et de l’avoir déçu la torturait.
Elle attendait qu’il donne maintenant son … «verdict». Qu’allait-il dire?
Mais le baron n’était pas pressé de prendre une décision. Il ressentait qu’il n’était intérieurement pas mûr pour cela. Il devait d’abord «digérer»…
D’ailleurs, il n’y avait pas urgence. Aucune urgence de jeter à la rue une femme sur le point d’être mère. Si elle n’avait pas de mari ni même de père de l’enfant pour veiller sur elle durant sa grossesse, préparer la naissance et l’accueil du bébé, peut-être – vu son jeune âge – avait-elle des parents chez qui elle pourrait retourner?
Il la questionna:
- Vous avez des parents?
- Oui, bien sûr!
- Ils pourraient vous aider?
Où voulait-il l’amener? A retourner dans son foyer parental? Elle répondit:
- Je suis partie de la maison de mes parents pour être indépendante (sous-entendu: il n’est pas question que je fasse marche arrière!).
Le baron Benoît de Talensac comprit que ce n’était pas opportun d’aller plus avant sur ce terrain. Derrière la grande douceur de Marie pouvait se révéler une très ferme volonté.
Peut-être devait-il en parler avec son confesseur, le curé du village – l'archiprêtre et chanoine Courtin – qui, de temps en temps, à des occasions particulières, venait aussi dire la messe dans la chapelle du château? Il était souvent de bon conseil.
Il préféra donc changer de sujet en lui donnant le programme de la journée:
- Je n’ai pas besoin de vous ce matin, mais, cet après-midi, j’avais prévu de vous montrer la totalité du domaine au cours d’une promenade en calèche, car j’estime que la personne en charge de vos fonctions se doit d’avoir une vue d’ensemble de la vie non seulement dans le château mais aussi autour du château. Je vous propose de nous retrouver pour cela à 14 Heures devant le grand escalier de l’entrée principale.
Marie acquiesça avec un soupir de soulagement. Ainsi il ne la congédiait pas, en tout cas pas pour le moment, et le fait qu’il veuille encore lui montrer l’ensemble de la propriété était de bon augure…
Elle sortit du bureau pour retourner dans son appartement. Une fois qu’elle eût quitté la pièce, le baron Benoît de Talensac prit soudain conscience d’une chose qui le surprit grandement: La maternité donnait manifestement à Marie un charme encore plus grand!
L’après-midi, à 14 H précises, Firmin le palefrenier se présenta, devant le grand escalier, en tant que postillon de la calèche, juste au moment où le baron descendait l’escalier. Depuis quelques minutes, Marie était déjà en bas de l’escalier, avec sa robe à crinoline et un chapeau sur la tête.
Le baron de Talensac lui ouvrit la petite portière et lui fit signe de monter à bord. Bien volontiers, elle s’exécuta.
La promenade de découverte du parc et du vignoble de cent hectares fut, pour Marie, un enchantement. Le temps était ensoleillé et les rayons du Soleil se faufilaient un chemin à travers les vignes et les raisins dorés mûrissants.
Le baron lui expliquait une foultitude de choses, sur la propriété, ceux qui y travaillaient, les arbres, la vigne, le vin, les chais, etc. Marie s’efforçait de se montrer intéressée à tout, mais c’est surtout lorsqu’il parlait du raisin qu’elle était captivée.
Il lui dit:
- Notre Seigneur Jésus-Christ a dit: «Je suis le vrai Cep, et mon Père est le Vigneron» [1]. «Je suis le Cep et vous êtes les Sarments» [2]. C’est pour cela que j’aime la vigne.
Elle répondit:
- Il a dit aussi: «Je ne boirai plus, désormais, du Fruit de la Vigne, jusqu'à ce que le Royaume de Dieu soit venu.» [3].
Alors, il la questionna:
- Croyez-vous qu’Il en boira, bientôt, de nouveau?
Elle répondit:
- C’est pour cela que je vis.
Ils rentrèrent au château. Les jours suivants, le baron ne dit rien de spécial à Marie. Trois jours après, c’était Dimanche et l’on célébrait la Fête des Récoltes. À cette occasion, le chanoine Courtin vint célébrer la messe dans la chapelle où des fruits – surtout du raisin! – et des légumes du potager avaient été disposés devant l’autel, en remerciement pour la Bonté de Dieu, Qui, dans Sa Création, donne en surabondance aux êtres humains tout ce qui leur est nécessaire, et bien au-delà…
Bien que ce ne fut pas une croyance typiquement répandue dans la Chrétienté, Marie croyait, de plus, que le Créateur avait, dans Ses jardins, de nombreux petits serviteurs qui s’occupaient spécialement de faire pousser tout ce qui croît dans la Nature, et elle pensait qu’il fallait les remercier, eux aussi…
Après la cérémonie, le chanoine fut invité au copieux repas servi à la table du baron. Naturellement, en tant que secrétaire personnelle du baron et présentée au chanoine comme telle, Marie aussi était invitée. Le chanoine, qui était assis à le droite du baron, presque en face d’elle, se rendit-il compte qu’elle était enceinte? Pas sûr. Sous son ample robe rose, cela ne se voyait pas encore. Toutefois, il allait bientôt avoir l’occasion de l’apprendre, car, après le repas, le baron l’invita, pour un entretien privé, dans son bureau.
Une fois le chanoine en face de lui, dans son bureau, le baron lui exposa l’embarras dans lequel il se trouvait… Devait-il garder sa nouvelle jeune secrétaire ou, au contraire, s'en séparer?
- Voilà, dit-il au chanoine – qui était aussi son confesseur – par elle-même, je viens d’apprendre que ma jeune secrétaire, Marie Duprat, qui, à table, était assise en face de vous, et dont vous avez pu apprécier la conversation, est enceinte…
Il fit une pause. Le chanoine – qui ne l’avait pas remarqué – attendait la suite…
- … Et … elle n’a pas de mari!, acheva-t-il.
- Je vois…, dit lentement le chanoine, à qui, jusque-là, Marie avait aussi fait bonne impression. Et vous attendez de moi…
Il marqua une pause. Afin qu'il poursuive, le baron lui fit un signe approbateur de la tête…
- Oui, vous voulez savoir si vous devez la garder, c’est cela?
Le baron approuva d’un signe de tête.
Un silence embarrassé suivit. Selon ses principes stricts, la réponse du chanoine – qui était aussi archiprêtre – aurait dû être non. Mais lui aussi avait été sous le charme de la jeune femme, qui, à tout moment, en plus de sa modestie et de distinction, dans chacun de ses gestes et dans chacune de ses paroles, irradiait une grâce évidente, pour laquelle il aurait fallu être une brute pour ne pas la ressentir.
L’archiprêtre cherchait une autre solution… Soudain une lumière s’alluma dans son esprit!
- Naturellement, vous ne pouvez pas garder chez vous une fille-mère, commença-t-il enfin…
- Vous me dîtes que mon devoir est de ne pas la garder?, questionna le baron, qui craignait une telle réponse.
- Non, je n’ai pas dit cela!, reprit vivement le chanoine archiprêtre. J’ai juste dit que vous ne pouvez pas garder sous votre toit une mère célibataire, car c’est contraire à toute morale chrétienne!
- Et alors, comment puis-je éviter cela si je ne la renvoie pas?
- D’une manière très simple!
- Et c’est…?
- De la marier!!!
Après un silence rêveur, à mi-voix, le baron reprit:
- Ah! De la marier…
Évidemment, cela pouvait être une solution pour la garder, tout en satisfaisant à la morale chrétienne…
Comme il ne poursuivait pas, l’archiprêtre Courtin reprit:
- Vous semblez étonné, voire perplexe… Pourtant, depuis bientôt deux mille ans, personne n’est né sans père; cet enfant à naître a bien un père? Non?
- Oui, bien sûr! Mais…
- Mais quoi? Il n’est plus de ce monde?
- Probablement que si!
- Alors?
- Selon ce qu’elle m’a dit, elle ne l’a pas revu depuis leur première … et dernière (!) … rencontre!
- Cela veut-il dire qu’il soit introuvable?
- Pas forcément … je ne sais pas!
- Alors, il faut le chercher!, conclut l’archiprêtre.
- Et si on ne le trouve pas?
- L’on avisera, à ce moment-là…
L’entretien se conclut de cette manière, puis, raccompagné par le baron jusqu’en haut de l’escalier au bas duquel sa voiture l’attendait, l’archiprêtre chanoine curé de la petite ville proche repartit vers ses obligations envers ses autres ouailles…
Préoccupé par la tournure que prenait l’affaire, le baron de Talensac fit tout de suite appeler sa secrétaire Marie Duprat, dans le but de … lui trouver un mari! Et si possible, le père de l’enfant!
Lorsqu’elle arriva au bureau de son patron, Marie se doutait que cette convocation était en relation avec la visite de l’archiprêtre et de l’entretien qui s’était déroulé entre les deux hommes, quelques instants plus tôt.
Elle frappa timidement, et il vint lui-même lui ouvrir la porte. Il la pria de s’asseoir sur le même fauteuil où elle s’était assise, la première fois, lors de son entretien d’embauche…
Puis il commença:
- Lors de notre précédente conversation, au cours de laquelle vous m’avez fait part de votre état de future mère, nous n’étions pas encore allés au bout du sujet… Je dois vous avouer que, dans mon désir d’agir de la juste manière, en correspondance avec ma foi chrétienne et mon appartenance à l’église catholique romaine, je me suis trouvé en proie à une certaine perplexité, de sorte que je n’ai alors pas encore pris de décision.
À présent, la réflexion a avancé grâce à mon entretien avec le chanoine Courtin. Il m’a fait part d’une solution qui me permettrait de vous garder à mon service…
- Et c’est…?
- … De vous marier!
Marie fut très surprise d’entendre cela. Elle ne s’y attendait pas. À Sylvain et à la possibilité de le revoir un jour … elle n’avait, tout simplement, pas pensé! Dès le départ elle n’avait nullement pensé que son intense mais brève étreinte avec Sylvain lui laisserait un tel «souvenir»… Ils s’étaient séparés au sortir de la forêt, Sylvain continuant sa route avec son sac à dos, et elle retournant poursuivre sa vie dans la maison parentale.
Elle demanda au baron:
- Avec qui devrais-je me marier ?
- Mais avec le père de votre enfant, bien sûr!
- Ah!
Devant son étonnement manifeste, il demanda:
- Pensez-vous qu’il ne voudrait pas vous épouser?
- ??? Je ne sais pas!
- Il ne vous a jamais demandée?
- Non. Je ne l’ai vu qu’une seule fois.
Elle ne savait pas trop ce qui s’était passé avec Sylvain. Elle savait seulement que ce qui s’était passé entre elle et lui était juste et dans l’ordre des choses.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, elle avait aimé cet homme juste une heure ou deux, avant qu’il ne disparaisse de sa vie, aussi rapidement qu’il y était entré.
Pensait-il encore à elle?
A suivre...