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Dans les pays lointains
Expériences et Récits de Voyages de Oskar Ernst Bernhardt
"Le voyage instruit!"
- Proverbe. -
Voyages parmi les peuples étrangers, dans les pays lointains...
Le livre, publié en Suisse vers 1910, raconte les véritables et dramatiques aventures vécues, au début du XXème siècle, par l'auteur, en Turquie, Irak, Grèce et Inde.
L'histoire commence à Constantinople (Istanbul), se poursuit en Anatolie puis dans le désert irakien, à Athènes et enfin en Inde, où Fatime est victime de la traite des blanches. Alors, y a-t-il une happy end? Réponse dans le récit "Dans les pays lointains"!
Le récit commence ainsi:
1. - ENVIRONNÉ D'ESPIONS
- «Porteurs! Porteurs!»
Mon appel retentissait à travers le hall de la gare d'Istanbul, remplie d'une foule aux couleurs bigarrées.
Une sauvage confusion s'offrait à mes regards. Les porteurs de bagages se disputaient en criant autour des valises des voyageurs et tous se bousculaient vers les formalités de la douane, qui se trouvait à la sortie de la gare. Chacun voulait être le premier. Des mots de toutes les langues bruissaient dans l'air.
Je regardais tranquillement de haut cette folle activité, car je me trouvais encore sur le marche-pied d'un wagon du train de luxe [NDLR: probablement l'"Orient-Express"] venant d'arriver et qui m'avait transporté de Vienne à ici.
L'Orient n'était pas nouveau pour moi, mais, malgré cela, ce coup d'œil exerçait toujours sur moi une certaine excitation.
Pour la troisième fois, je hurlais à pleine gorge:
- «Porteur!»
Cette fois, je fus entendu.
Un Turc assez sale, à la robe déchirée, appuyé jusqu'ici en silence à un pilastre et qui n'avait apparemment pas prêté attention à son entourage, s'empressa vers moi.
Méfiant, j'évaluais la stature un peu chétive du Turc et lui faisais remarquer en hésitant:
- «Tu ne pourras pas porter ces valises. Celles-ci sont très lourdes.».
Un sourire suffisant glissa, cependant, sur ses traits et, pour toute réponse, il leva impassiblement la plus grosse et la plus lourde valise avec une aisance et une force étonnantes et demanda calmement:
- «Où dois-je la porter?».
Avant que je puisse lui donner une réponse, retentit soudain à mes oreilles une voix qui m'était bien connue:
- «Effendi! Effendi!» (Monsieur! Monsieur!).
Réjoui, je regardais autour de moi, et dans la cohue encore persistante, j'aperçus un personnage épais qui pénétrait de force à travers la foule humaine en poussant et en haletant. Le visage rouge et ruisselant de sueur par la course fatigante et les bras courts tournoyaient en l'air activement.
C'était Youssouf, le fidèle serviteur de Constantin, qui me connaissait depuis ma dernière visite.
Enfin, il était devant moi et, pendant qu'il reprenait son souffle et que la sueur lui coulait littéralement sous son nez rouge, il parlait avec volubilité en des phrases décousues tandis que ses petits yeux amusés rayonnaient:
- «Ô Effendi, j'ai couru, j'ai volé pour arriver à temps auprès de toi. Mon âme était profondément troublée en ne te voyant pas aussitôt, mais maintenant mon cœur bat de joie, puisque je peux te saluer.
Tu sais bien, Effendi, que je suis le serviteur le plus fidèle de ton ami, puisse Allah t'inspirer de manière à ce que tu t'aperçoives de cela et n'accordes pas tes grâces à d'autres!».
A ces derniers mots, il me faisait des yeux un signe de connivence vers le porteur appelé qui m'attendait à côté avec une partie de mes bagages et ne semblait même pas se préoccuper de nous.
Que voulait-il dire par là?
Déjà j'ouvrais la bouche pour une demande à ce sujet, mais Youssouf continuait de s'incliner et me chuchota à mi-voix, tout en saisissant ma valise:
- «Pose ta question maintenant, ô Effendi!»
Ces paroles étaient si implorantes et si angoissées que j'en fus encore troublé.
Je maîtrisais toutefois mon inquiétude, pris un air impassible et suivis vers le contrôle des douanes, Youssouf et le porteur me précédant.
A nouveau me revenait maintenant à l'esprit, comme plusieurs fois déjà durant le voyage, la lettre de mon ami.
Son invitation était si étrangement retenue. Entre les lignes, on lisait involontairement une pressente supplique, ce qui m'avait incité aussi à avancer mon départ. Ma crainte devait-elle être fondée et un danger quelconque menaçait Constantin? Un malheur l'avait-il déjà touché?
Quelque chose avait dû se passer. Ce sentiment oppressant ne me quittait pas et, sous l'impression de telles pensées, je me rapprochais de la sortie , quand, au même instant, Constantin arrivait aussi dans sa voiture.
Un poids m'était ôté de la gorge. Dieu soit loué: il était au moins en bonne santé ainsi que je pouvais m'en assurer d'un regard, même si ses traits donnaient l'impression d'une plus grande lassitude et que la figure aux yeux bleus et à la grande et forte barbe d'un blond foncé mais bien soignée, paraissait un peu plus pâle qu'autrefois. Il avait toujours été sérieux et son être entier était emprunt d'une légère mélancolie. A l'exception de ses yeux bleus, il avait le regard authentique d'un turc méditatif, alors qu'il réfléchissait sans fin la solution d'un problème important.
Alors que la voiture roulait encore, Constantin qui m'avait déjà remarqué, en descendait. Je voyais flotter comme un signe réjoui sur son visage.
Il laissa glisser un pourboire dans la main de l'employé qui se tenait à la prote, faisant au porteur un signe impératif et nous franchîmes sans contrôle le passage avec tous les bagages tandis que je voyais encore les valises de mes compagnons être fouillées.
Je me trouvais maintenant face à mon ami. De tout cœur, nous nous serrâmes les mains.
Constantin me souhaita la bienvenue et s'écria:
- «Combien je te suis reconnaissant d'être venu, mon cher, j'ai tant désiré avoir un entretien avec toi!».
Je le regardais en disant:
- «Ta lettre ne m'a laissé aucun repos, ce n'était à vrai dire, qu'une invitation, mais, après sa lecture, l'idée s'affermissait en moi que tu avais un urgent besoin de mon aide.».
A ces mots, le visage de Constantin s'assombrit et un regard presque douloureux m'atteignit, tandis que, d'un mouvement de refus de la main, il remua tristement la tête et soupira:
- «Ah! Je ne sais plus ce que je t'ai réellement écrit, mais tu as raison, j'ai besoin de ton aide! et {même} grand besoin.».
Tenant toujours sa main dans les miennes, je répondis:
- «Tu sais que tu peux compter sur moi en toute chose. En douterais-tu?».
Et, prenant intentionnellement un ton plus léger, je poursuivis:
- «Nous avons déjà débattu plus d'un problème ensemble, c'est pourquoi je suis convaincu que nous mènerons également à bien ou résoudrons cette affaire, qu'à vrai dire, je ne connais pas encore. Est-ce quelque chose de si grave?».
Mais je regrettais aussitôt cette question à brûle-pourpoint, car sa bouche commençait à douloureusement tressaillir, tandis qu'il répondait:
- «Tu me demandes si c'est quelque chose de grave? Grave n'est pas l'expression correcte pour cela, oui, oui un coup pénible ma atteint. Oh! Cher ami, aide-moi. Ma sœur...».
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